Retour   
Voici un texte consacré à mon ascension de la voie du Toit du Marteau

Sur un forum (C2C), j’ai collaboré à un post consacré à des petites histoires en racontant mon ascension du Toit du Marteau par la voie Diethelm - Marchal (je précise car actuellement une nouvelle voie (signée Michel Berruex dans les années 80) a complètement remplacé cette voie "historique" dont je n'ai plus eu aucun écho depuis fort longtemps!
Mais d'abord il faut planter le décor … le Toit du Marteau Késako ??? C'est dans le massif des Fis au dessus des chalets d'Ayere, juste en face du Mont Blanc …
Les faces sont hautes (jusqu'à 600m pour l'éperon sud de Platé), mais pour le marteau proprement dit il faut se contenter de250m … mais avec 45m de dévers absolu
Cette voie ouverte en 1966 par Diethelm et Marchal était en 1974 encore "vaguement" praticable… eut égard à la suite de mon histoire … et célèbre pour son fameux toit de 15m d'avancée que les Suisses avaient franchi par le miracle de leur boulon de 6 mm utilisés comme le serait plus tard le goujon de 12 mm … mais en plus terrifiant! Selon le topo des Aiguilles Rouges (1974) "le grand toit ne peut être franchi que par des grimpeurs connaissant toutes les ressources de l'escalade artificielle, le passage clef comporte une exposition maximum, l'un des plus difficiles problème technique des Préalpes"…. Ca en jetait (même si je ne cautionne pas vraiment) ! Le contexte historique, c'est important à planter, pour les jeunots qui s'imaginent qu'une voie en calcaire a toujours été attaquée en ballerines avec une attache à simple et 12 dégaines (en plus, je ne suis même pas sûr que la bouse compactée du massif des Fis soit apparentée au calcaire … mais plutôt au charbon!).
Et bien .. NON… En 1970, les coinceurs ne sont pas imaginés, les baudriers sont complets et rudimentaires, les dégaines n'existent pas, le descendeur non plus… on assure à l'épaule, la corde simple n'est pas de mise, la corde de rappel standard est de 60m, la cotation réservée à l'élite est le VI en chiffre romain (notre 6b actuel). Rares sont les escalades qui se conçoivent sans un marteau et quelques pitons, équiper une voie par le haut même sur des falaises minuscules n'a été envisagé par personne.
Autre différence assez fondamentale, l'alpinisme est un tout. Depuis le ski de rando l'hiver jusqu'aux vacances d'été à Chamonix c'est une continuité… On grimpe en Vercors (même à Presles) comme à Chamonix mais aussi comme à Buis les Baronnies, les Calanques ou Buoux. Nous utilisons alors (pour être plus performants) des Terray Saussois (grosses pompes rigides … mais efficaces sur les grattons et les étriers). les topos de toute la France tiennent dans une boîte à chaussure ! Voilà le décor…
Juin 1974 … exactement le samedi 1er juin, je suis avec mon compagnon de cordée de l'époque Jean Marcel Chapuis et deux jeunots Lyonnais (Luc Jourjon et Jean Michel Fournier) à Chamonix pour aller en découdre avec le Grand Capucin. La météo est moyenne, il a beaucoup neigé et nous décidons qu'il faut trouver un objectif de substitution à la hauteur de nos ambitions (car nous étions ambitieux … et oui).
Je ne pratique l'escalade que depuis 2 ans (ma première voie en Vercors date du printemps 1972) mais j'ai déjà une "petite expérience" en 1973 j'ai déjà réalisé la 3ème ascension de La voie Guy Héran au Verdon (la paroi rouge) la 3ème du Pilier de Choranche, la 3ème aussi de la Révélation intégrale à Archianne … sans oublier le bouclier du Gerbier (sans doute dans les 10 premières répétitions)… et la seconde de la voie des grands surplombs à glandasse… en cette année 1974 nous sommes donc remontés comme des horloges!
Grosso modo nous étions la preuve que les idées actuelles sur l'apprentissage de l'artif … obligé avant d'oser se lancer … c'est de la pure bêtise! Si tu en veux, tu y vas ... et tu apprends sur le tas!
Donc nous avions les dents si longues qu'elles rayaient le parquet des refuges… et le toit du Marteau véhiculait des histoires encore plus terribles que toutes les voies précédemment parcourues … c'était donc un beau challenge et de plus abrité de la pluie qui menaçait!
Un grimpeur de Sallanches (Verilhac) l'avait fait récemment et comme il avait un magasin de sport nous avons pu le rencontrer le samedi après midi afin de savoir exactement à quel niveau de terreur nous devions nous attendre…
En 1970 l'alpiniste (un grimpeur pur ça n'existe pas ailleurs que chez les bleausards) ne tombe jamais… ou très rarement … vu que la matériel n’est pas fait pour cette forme de pratique sportive (une chute assurée à l'épaule… ça laisse des souvenirs à l'assureur). Donc les histoires, le soir au refuge, sont axées sur des peurs plutôt imaginaires … dignes de la sardine ayant bouché le port de Marseille!
Mais là le garçon, il en rajoute couche sur couche… et dans la grande rue de Sallanches, remontant au volant de mon Ami6 bivouaquer au chalets d'Ayere, certains (les plus jeunes) sont verts.. moi j'assure que c'est des propos de "vieux" et que des jeunes audacieux et talentueux de notre trempe doivent passer outre les menaces qu'il a fait planer sur notre enthousiasme… on prendra quand même un tamponnoir!
Le lendemain j'allais me souvenir des histoires fabuleuses qu'il m'avait conté… où il était question d'une bande de charbon … avec la moitié du matos manquant (sauf à le chercher 200m plus bas dans le pierrier), et de la mort qui rodait au relais (effectivement j'allais ressentir cette petite sensation mémorable que je n'ai croisée que 2 fois dans ma vie de grimpeur … au Marteau et aux Mallos dans une voie difficile avec un relais sur pitonisas).
Au matin du dimanche 2 juin 1974, nous avons donc attaqué le socle du Marteau où les difficultés ne dépassent pas le 4sup (de l'époque).
Là ça a commencé de nous faire drôle… Comment ce dièdre pouvait il encore exister sans tomber en poussière … et surtout le monolithe détaché marquant le début de l'artif … comment justement restait il vaguement attaché???
Mais le plus terrible nous avait été annoncé pour plus haut … la bande de charbon !!! Derrière la cordée Jourjon / Fournier commençait à trouver déraisonnable de continuer dans ce pierrier vertical… mais comment redescendre?
Au relais je refuse catégoriquement que nous fussions tous ensembles (la fin tragique de cette histoire me donnera raison) . Rapidement il est décidé que pour tenter de survivre à un effondrement général de cette montagne instable, nous avancerons en cordées reliées et séparées par une longueur … sur 80m il se trouvera bien un point pour stopper la chute du leader (moi en l'occurrence) même si le relais de Jean Marcel venait aussi à s'arracher! De toute façon à l'arrière le moral est déjà bien en dessous de la dose permettant d'avancer en tête.
Et nous voici au pied de la bande de charbon … putain il avait pas menti le Verilhac… c'est pas du rocher humainement concevable… les boulons enfoncés par les suisses sont enfoncés avec un simulacre de plaquette que je soupçonne avoir été découpée dans de la boîte de conserve…
Résultat: si au Bouclier du Gerbier (là où ils avaient laissé un espace pour placer leurs plaquettes récupérables) on pouvait entortiller qq chose (un ficelou ou du fil de fer)
[img] http://bfara.free.fr/Accueil/Prealpes/Gerbier/photos_gerbier/gerbier_bouclier04_medium.jpg [/img]
Dans cette voie c'est pas possible … le boulon est à ras du rocher et les plaquettes sont presque toutes déchirées. Verihac nous ayant prévenu nous avions tout un attirail de ficelous minuscules plus du fil de fer, pour tenter de faire tenir vaguement un mousqueton sur ces chiures de mouche.
Là, même 30 ans après, je le revis comme si j'y étais … ça rigole plus du tout ! Je sais que si un point s'arrache tout partira … relais compris (mais bon 50m plus bas avec quelques bons pitons entre eux et Jean Marcel… les 2 gamins m'encouragent à ne pas faiblir!)
Pourtant aux dires de l'ami Verilhac le pire sera dans 10m … à l'approche de cette corde qui pendouille en arrière de moi (parce qu’en plus c'est surplombant pas pour rire…). Dans 10m, la longueur dans la strate de charbon n'est plus assez équipée (sans doute un effondrement ayant entraîné pas mal de points dans le pierrier).
On y est au dessus de ce dernier boulon qui tient je ne sais par quel miracle … plus rien que de la poussière noire verticale (je n'ai jamais bien saisi comment les 2 suisses avaient pu, avec ce matériel, venir à bout de cette longueur?). Derrière moi, vestige de la première, une corde "10 ans d'âge" pend … elle est visiblement mâchée à plusieurs endroit par les chutes de pierres et les frottements … et je n'arrive pas à enclencher ce jumard prêté par Verilhac dans les filaments de cordes qui pendouillent 2 mètres derrière moi!
Oui il avait raison hier, de nous dire que ce passage donnait la chiasse à son degré maximum! Ca y est je me laisse partir dans le vide… pendu à une corde lamentable, avec à peine la place pour mettre le jumard de pied. Il faut croire très fort que les plaquettes en boîte de conserve sur lesquelles cette corde est ancrée tiendront. Ce fut long… très long car cette longueur est immense (normal le rocher ne permettant même pas d'avancer décemment il est impensable d'y coller un relais sans faire appel à une entreprise de TP!).
Je fus le seul à vivre cette expérience car au fur et à mesure de ma progression je pose notre corde de charge en corde fixe pour les suivants.
Ouf … Nous sommes tous les deux, (Jean Marcel et moi), à présent pendus à un relais à peine exprimé dans le terme "aérien"… vu qu'il est dans un plafond! Et 40m plus bas les gamins se morfondent au pied de la strate de charbon!
Devant moi les fameux 15 mètres de plafond … le rocher est béton … là il y a pas photo! Mais les plaquettes merdiques continuent (seul petit plaisir … un inconnu, qui aura à jamais mon estime, à ajouté à ce relais un VRAI spit de 8mm "auto forant"! Je démarre donc presque euphorique.
Mais au bout de 5 à 6 mètres je fais une "nervous breakdown" … l'immonde bout de métal déchiré devant mon nez … Je REFUSE de monter dessus! Je sais que tout péterait… et même ce bon spit de 8mm au relais ne suffit pas à me motiver! 30 m en dessous de ce toit, suspendu plein vide sur un relais effroyable … joker! Nous n'avons que 3 à 4 spits sur nous et ce serait le sauvetage obligé… mais comment? … et par qui?
En dessous les gamins commencent à remonter la statique puisque un bon nombre de points sont déjà mousquetonnés … je me décide à ajouter un auto forant dans cette longueur!
Tamponnoir en action couché à l'horizontal, je pose donc ce qui donne un sens à cette histoire. Car la nuit tombait, et pour aller plus vite Jean Marcel me poussait à essayer (ça avait bien tenu pour d'autres!!!).
Pour savoir, si oui ou non j'avais été "petite couille" pour rien, j'ai vaché ma longe sur le spit de 8mm … et j'ai chargé un étrier sur celui dont je doutais!!! Je suis resté pendu sur le bon spit… le mauvais s'était arraché dès que j'étais monté dans ma pédale!
L'histoire est ainsi terminée… et la dernière longueur après le toit, pitonnée dans le noir restera anecdotique! A minuit nous étions dans la prairie au sommet du Marteau tous les quatre avec la réel impression d'être des survivants…
Et pour authentifier cette petite (longue) histoire, car je suppute que certains se disent déjà, ce Fara… quel hâbleur! Nous avions fait la huitième ascension de la classique voie suisse du Toit du Marteau. Le week end suivant ceux qui voulurent faire la neuvième reposent depuis bientôt 30 ans au cimetière de Sallanches… A l'attaque de la bande de charbon, la cordée a tout arraché, (sans doute le relais), je n'ai jamais connu les raisons exactes de cet accident.
Je ne suis même pas certains que en dehors de la voie Berruex très proche de la voie suisse, (100% forée et équipée avec du matos moderne), le Toit du Marteau soit refait de nos jours.