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Voici un texte consacré à mon ascension de l'éperon Walker en face Nord des grandes Jorasses.

Le vendredi 1er aout 1986 après le travail, j’ai rejoint avec Renée, ma femme et ma fille Audrey qui étaient en vacances à Taconnaz. Nous étions chaque année logés par François Rubin (un alpiniste Lyonnais de la génération précédente), dans un minuscule Mazot.
A Chamonix Sud, Eric Escoffier m’annonça alors que la face nord des Jorasses était vaguement en condition pour la première fois de l’année. Le samedi 2 août 1986, nous montions donc avec lui et un collègue au refuge de Leschaux.
J’étais moyennement motivé, l’escalade sportive devenait à présent mon unique objectif (je venais d’ailleurs de réussir Autoroute du soleil à Buoux) et le 8a me semblait un objectif plus passionnant que les grandes faces nord ! Mais la Walker, j’en avais tellement parlé que reculer n’était plus possible.
Eric avait le projet de gravir la Walker en solo, de se faire récupérer en hélico au sommet pour ensuite aller gravir le pilier sud du Freney … à cause de la dégradation météo il devra se contenter du premier challenge ! Son collègue, (un membre de son fan club), montait certes avec lui jusqu’au refuge, mais n’allait pas plus loin … il comptait donc s’encorder avec nous dans les crevasses du glacier de Leschaux, jusqu’à la rimaye.
Le dimanche 2 août 1986, à 3 heures du matin nous cheminions donc avec lui sur le glacier. Il n’avait pas de crampons pour être allégé au maximum, et nous l’aidions donc à ne pas glisser dans les passages en glace ! A 4h30 enfin il démarrait la voie doublant rapidement les cordées nombreuses qui nous précédaient.
Soudain, je fis à Renée la proposition d’abandonner … le mal des rimayes que je n’avais jamais connu auparavant prenait la forme d’une petite fille de 5 ans, qui passait devant mes yeux de papa poule et que j’imaginais orpheline ce soir !
Renée me déclara que François Rubin allait rigoler de nous, et tous les copains à l’unisson … elle n’avait pas totalement tort !
J’ai donc tranché, "on y va, ce sera la dernière … mais on attaque !". Et notre machine bien rodée s’est mise à dérouler les longueurs … insultant deux imbéciles qui tentaient vainement de passer sans toucher 1 piton dans le dièdre de 30m, attachant la corde d’une équipe japonaise qui encombrait le dièdre de 90m afin de leur marcher sur les épaules ! Un petit sac pour nous deux, aucun vêtement pour bivouaquer, nous misions sur la rapidité.
Dès les dalles grises les cordées du matin étaient loin sous nous, mais nous rejoignions à présent ceux de la veille … des cordées lentes qui avançaient avec le sac double hauteur sur les épaules, duvets et tente de bivouac, réchaud et nourriture pour 4 jours à l’intérieur … nous ne participions pas au même jeux ce jour là ! Surtout que le temps se dégradait très vite … les nuages de foehn passaient la crête des Jorasses laissant présager des lendemains terribles.
Le vent chaud faisait fondre la glace dans les cheminées sommitales, (les cheminées rouges), et des pierres tombaient sans cesse à présent dans la face ! Je me souviens d’un relais avec une des cordée escargot recroquevillée à l’abri d’un surplomb, qui nous déconseillait de continuer … je lui ai répondu "tu vois mon équipement … rien de plus ! Ce soir pour nous c’est Courmayeur ou nous sommes morts gelés demain" !
J’ai confié à Renée que les choses se gâtaient … et nous avons décidé d’escalader les longueurs sous les cheminées rouges à "donf" … donc à corde tendu, sans relais, parfois sans assurance intermédiaire … au milieu des impacts de pierres !
Je me souviens d’un pas délicat avant de prendre pied dans les cheminées qui me posa un problème et où j’eu bien conscience que zipper ici … c’était le glacier de Leschaux en direct pour nous deux … et sans doute pas entiers à l’arrivée … vu que Renée avançait 40m en dessous sans aucun point entre nous deux !
Dans les cheminées rouges j’eu conscience que c’était pratiquement gagné … elles étaient d’ailleurs rouges pour de bon ! Du sang partout à chaque passage, à chaque relais … et tout en haut avant la traversée qui conduit aux couloirs de sortie, une cordée d’alpinistes d’Europe de l’est tentait de réconforter un blessé dont le pied avait été carrément broyé par une chute de pierre. J’ai encore en mémoire l’image de ce grimpeur qui gémissait et du sang qui giclait sans cesse de ce qui ressemblait plus du tout à un chausson d’escalade.
Ce relais à coté d’un mec dont l’avenir s’annonçait très sombre, fut assez pénible. Côté positif, les ennuis des autres mettent en relief le bonheur de ne pas en avoir personnellement … j’ai répondu à leur "Help !" …"Help !" … en promettant de prévenir les secours à Boccalatte ! Je ne pensais pas qu’il survivrait … d’autant plus que le grand mauvais temps arrivait, mais à Chamonix j’ai su qu’ils furent hélitreuillés 5 jours plus tard !
Dans les couloirs de sortie facile nous avons rattrapé une cordée Grenobloise. Au sommet à 18h, nous avions décidé de descendre ensembles. Ils étaient pile au sommet à chausser les crampons, nous 3 mètres en dessous à faire la même chose … il n’a pas du s’écouler plus de deux minutes entre le moment où ils ont commencé la descente et celui où avec Renée nous avons enjambé la crête sommitale … Ils avaient disparu !
Le foehn donnait sur le versant italien une visibilité au maximum de quelques mètres et même en suivant les traces de crampons au sol je ne suis jamais arrivé à les rejoindre !
Nous avons longuement descendu un éperon rocheux, ne sachant pas bien si nous ne faisions pas fausse route. L’angoisse commençait à me gagner. A un moment j’ai envisagé de m’être fourvoyé dans le versant Tronchet des Jorasses, aussi quand un rappel m’a conduit dans une pente de glace, j’ai préféré ne pas tenter de faire descendre Renée et de rappeler la corde !
A 20 h serrés l’un contre l’autre dans nos couvertures spatiales, nous avons décidé d’attendre le jour … angoissés légèrement, mais sans commune mesure si ce bivouac avait été vécu sur la face Nord !
Le 4 août au matin, une éclaircie allait grandement me soulager … nous étions assis sur un bloc environ 50 mètres au dessus de la trace de la voie normale ! A 8h du matin, le gardien du refuge me confirmait que les secours étaient prévenus … autour d’un petit déjeuner copieux !
Comme je l’avais annoncé à Renée à la rimaye, les crampons que j’ai déchaussé devant Boccalatte, n’ont plus jamais servis, mon piolet a encore été mon compagnon durant de longues années à Presles (nettoyant les voies que j’équipais), il n’a rendu l’âme qu’en 2009 … pour ma dernière réalisation (l’Avenir Derrière Soi) ! La tête repose, bien vissée sur un goujon de 12mm … à un relais !