
Roche COURBE : la voie des Parisiens dans une
vie de grimpeur !
Le vendredi 2 juin 1972 au soir, armé du guide "Escalades
du VERCORS et de la CHARTREUSE" de Serge Coupé (édition
1963), je bivouaquais avec mon compagnon de l’époque, (Jean-Marcel
Chapuis), à l’aplomb de la voie des Parisiens.
Nous avions roulé après le travail et, le topo étant
peu explicite sur la localisation de l’accès, porté
notre choix sur une montée directe ! Je suis passé des
centaines de fois depuis au col de la Chaudière, et quand je
repense à cet accès direct, plus long et fatiguant, sans
aucun sentier … Je suis encore 40 ans après mort de rire
!
Dire que nous étions insouciants à ce bivouac ne serait
pas honnête, et notre nuit fut plutôt sous le signe de l’angoisse,
pour un nombre incalculable de raisons assez cartésiennes !
Mon sommeil personnel fut d’autant plus long à venir et
agité, que la réussite de la course reposait essentiellement
sur mes épaules, et que mon expérience alpine était
des plus infimes.
A l’automne 1971 j’avais débuté l’alpinisme
en réalisant quelques écoles d’escalades et escaladé
la voie des couloirs cheminées au Deux Sœurs … Grosso
modo pas grand-chose. En ce printemps 1972, je pouvais me prévaloir
de la voie du spigolo (toujours aux Deux Sœurs), et de celle du
pilier SW du Mont Aiguille … Pas bien plus donc ! Mais j’étais
armé de cette ambition qui régulièrement remplit
les cimetières de Chamonix ou de La Bérarde…
Dans mon carnet, (je tiens un carnet de course depuis 40 ans), j’ai
noté le WE précédent " 27 et 28 mai 1972,
nous voulions faire la voie des étudiants, mais à cause
du mauvais temps nous avons échoué ! Dimanche prochain
La Pelle pour réparer cet échec, il faudra que ça
passe ou que ça chie, quel que soit le temps !" …
En relisant mes lignes, pour cet article, je réalise combien
il m’a fallut de chance pour arriver, malgré les nombreux
accidents à pouvoir profiter de la retraite ?
Mais l’ambition ne chasse pas toujours les doutes qui génèrent
les angoisses au refuge ! D’autant plus que la seule lecture du
topo de l’époque faisait frémir les plus audacieux
… ED sup … paroi de 300m … entièrement surplombante
… 100 pitons … du VI (la cotation absolue et extrême
de l’époque) dès la seconde longueur … de
l’A3 dans plusieurs longueurs … sans compter du Vsup exposé
(en langage de l’époque … pas possibles de pitonner
! Faut grimper ou tomber, peu réjouissant car à l’époque
on s’assure à l’épaule pour enrayer les chutes).
Je doutais de pratiquement tout ce matin là … de l’accès
au départ de la voie bien évidemment, aussi de ma capacité
à négocier les difficultés (surtout l’A3)
et même de pouvoir éviter le bivouac !
Mais de toute façon je ne pouvais plus reculer, je jouais là
mon ticket d’entrée dans la cour des grands puisque j’avais
bravé les conseils de prudence des cadres de mon club FSGT de
l’époque qui avaient longuement tenté de me dissuader,
voyant dans mon projet et mon attitude un acte suicidaire !
Je réalise aujourd’hui, que voyant deux gamins inexpérimentés
se lancer dans un objectif comparable à ce que représentait
la voie des parisiens en 1972 … je leur ferais, à l’identique,
une morale de "vieux cons" pour les décourager !
Au petit jour, les dés étaient lancés … pas
un nuage à l’horizon pouvant légitimer un abandon
dans la dignité ! En ce samedi 3 juin 1972, mon Ami8 garée
pile sous la voie, bien loin du sentier du passage de Picourère,
qui était mal indiqué dans le topo de Coupé, nous
montions donc tels des sangliers, droit la pente ! Des œillères
dans le cerveau … pour ne pas trop se poser de questions !
Je pense que hormis la chute fatale, rien n’aurait pu stopper
mon entêtement, et même le socle immonde franchit droit
sous le voie, ne fut pas un frein suffisant.
Mis à part le bivouac du vendredi soir, j’ai peu de souvenirs
de cette ascension. Seule la fameuse traversée en Vsup exposé
sur des silex, a imprimé des images dans ma mémoire. Mon
carnet note, "La pelle EDsup (plutôt ED selon moi), 9h30,
beau temps, voie exceptionnellement belle, 17 longueurs soutenues".
Le lendemain, armé de certitudes encore plus inébranlables
dans mes capacité, j’allais venger l’affront du WE
précédent en gravissant cette voie des étudiants
au Mont Aiguille qui m’avait résisté sous l’orage
!
La réunion FSGT du jeudi suivant fut celle de mon adoubement
par les cadres du club, et le maître à pensé du
club me sélectionna pour aller deux semaines plus tard le conduire
au pilier sud des écrins … comment on passe du statut de
jeune con prétentieux, à celui de pure lumière
du rocher ?
Pour un article, parlant d’une réalisation dans ces années
là, et devant être lu par un public plus vaste que celui
des alpinistes cacochymes, il faut quand même donner le contexte
de l’époque.
En 1971, les coinceurs ne sont pas imaginés, la polémique
avec les goujons non plus car ils ne sont pas encore sur le marché,
les baudriers sont complets et rudimentaires, les dégaines n'existent
pas, la corde simple n'est pas de mise, la corde de rappel standard
est de 60m, l’assurage est à l’épaule, la
cotation réservée à l'élite est le VI en
chiffre romain (notre 6b actuel). Rares sont les escalades qui se conçoivent
sans un marteau et quelques pitons (que le leader plante et ensuite
arrachés par le second de cordée). Nous utilisons des
Terray Saussois (grosses pompes rigides … mais efficaces sur les
grattons et les étriers). La météo n'existe qu'en
discutant avec les locaux !
Le 14 juillet 1993, j'ai refait une nouvelle fois cette classique voie
des Parisiens (sans doute la septième fois), et le lendemain
Parfum d'Opale, une voie nouvelle dont tout le monde parlait ...
Ce fut rapide, (4 heures), mais j'ai eu le temps de repérer la
ligne d'une voie possible à gauche. Je n'avais jamais ouvert
une voie sur cette face célèbre... c'était trop
tentant et le 4 septembre je suis donc revenu avec Renée GUERIN.
Dans le sac nous avions une perceuse, et tout le matos classique. Nous
fêtions un peu notre installation ensembles... puisqu'après
10 années de vie extra conjugale (une voie ouverte aux Deux Sœurs)
je venais de demander le divorce!
Je n'avais plus équipé une voie du bas depuis de nombreuses
années... anecdote, c'était la première fois où
j'utilisais une perceuse lors d'une ouverture... et je suis tombé
avec, en posant un point!
Très rapidement je suis redescendu de la première longueur,
pour faire le tour par celle de Parfum d'Opale. La deuxième fut
aussi en grande partie équipée par ce subterfuge ... mais
ensuite, (au milieu de la seconde longueur), il fallut bien se résoudre
à en découdre en tête "pour de vrai",
la ligne obliquant à gauche vers les surplombs!
De retour le 18 septembre 1993, après avoir refaites les longueurs
déjà équipées, nous avons installé
R7, et le lendemain 19 septembre nous sommes sortis au sommet.
Il faisait froid et les chamois descendaient le pas de Picourère...
J'ai eu conscience que c'était la dernière voie que je
gravissais ainsi ... et son nom " Un soir d’été
avant l’automne " (dernier éclat avant la vieillesse),
résume cette pensée. C'était un peu comme ce soir
d'aôut 1986, au sommet des Jorasses après la Walker où
j'eu conscience en enlevant les crampons que je ne les remettrais pas!
Les dernières longueurs étaient tellement dangereuses,
sur des blocs instables énormes, que pas mal de pitons d'artif
furent posés, juste pour éviter de toucher ces frigos
suspendus... un WE suivant, je suis d'ailleurs revenu en rappel, pour
purger un peu les plus dangereux. Mais le haut de La Pelle est inexorablement
voué à s'effondrer, comme le récent éboulement
le prouve! Je ne pense pas qu'il ait beaucoup endommagé ma voie,
mais depuis peu de grimpeurs se risquent dans cette face.
En juin 1994 je suis revenu avec Renée Guérin, (devenue
mon épouse), pour l'enchaîner en libre et donner les cotations
définitives.
Au fil des quatre décennies de ma vie de grimpeur, j’ai
vécu tous les changements de pratique, participé aux querelles
éthiques et aussi choisi mon camp. Je ne pense pas que le calcaire
de la Pelle soit propice à l’utilisation des coinceurs,
mais je ne milite pas pour autant pour son équipement 100% sur
goujons. Même les relais sur goujons ne me paraissent pas justifiés
(sinon à titre exceptionnel quand les pitonnages répétitifs
on définitivement abimé la fissure propice). Parler de
TA (Terrain d’Aventure), quand la voie est pratiquement pitonnée
à demeure et que l’on a juste à poser quelques coinceurs
mécaniques dans certaines longueurs me semble une absurdité.
Il serait plus judicieux de dépitonner intégralement la
voie si on veut en faire un challenge de l’aventure.
L’équipement a sans doute évolué depuis,
mais lors de mon dernier passage en 1993, il fallait poser des coinceurs
dans la première et la deuxième longueur, qui visiblement
avaient été dépitonnées par un Zorro puriste,
et ensuite basta … c’était l’avalanche de pitons
partout !
La mode est à valoriser l’escalade clean ! Certes dans
certains type de rocher (Yosémite ou Wadi Rum) c’est une
évidence que j’apprécie beaucoup … mais je
reste persuadé que le calcaire très moyen des Préalpes,
avec ses fissures fragiles, est majoritairement peu propice à
cette pratique. Je l’ai souvent écrit, et je continue de
le répéter !
Ce rassemblement du cinquantenaire ayant invité quelques uns
des chantres de l’escalade "à l’ancienne",
nul doute qu’ils nous feront de longs discours moralisateurs sur
ce thème ? … Personnellement je ne suis pas nostalgique
du passé, même plutôt un partisan du modernisme sans
états d’âmes ?. Je trouve les pratiques actuelles
(recherche de l’escalade purement sportive), bien plus enrichissantes
que mes activités de jeunesse, qui véhiculent plus l’image
d’un grimpeur dressé dans ses étriers à chercher
la fissure propice à la pose d’un piton, que celle d’un
athlète maitrisant la difficulté loin de la dernière
sécurité !
Et en prime … le topo d’époque !
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